«Le Hamas a détruit l’innocence des civils de Gaza»
Par Sandrine Boudana
FIGAROVOX/TRIBUNE – Sandrine Boudana, professeur à l’université de Tel-Aviv, analyse l’expression de «civils innocents» pour désigner les victimes de Gaza. Le Hamas, selon une logique totalitaire, a embrigadé toute une partie de la société et a propagé la haine jusque chez les enfants, déplore-t-elle
Alors qu’Israël prépare une opération militaire d’ampleur, les politiques et médias occidentaux expriment leurs craintes pour les «civils innocents» de Gaza. Pourquoi cette expression tautologique? Les civils en temps de guerre ne sont-ils pas toujours «innocents», innocents par définition? Innocents dans le sens où ils ne participent pas au combat et ne devraient pas en subir les conséquences, dans le sens où ils sont sans défense et ne devraient donc pas être attaqués.
Bien entendu, nous n’avons pas le droit d’ignorer que des femmes, des enfants et des vieillards, des non-combattants, meurent dans les bombardements israéliens de Gaza. C’est une réalité cruelle. Et, contrairement aux mélenchonistes et autres irrécupérables, j’ai honte de devoir commencer la phrase suivante par un «Mais». Mais les Gazaouis ont élu le Hamas en janvier 2006. Mais les Gazaouis n’ont pas cherché à se débarrasser du Hamas depuis 2006. Mais les Gazaouis ont célébré en masse chaque assassinat de civils israéliens depuis dix-huit ans. Les femmes distribuant des pâtisseries aux enfants en liesse, admirant comme s’il s’agissait de preux chevaliers les tueurs du Hamas, qui paradaient, armes fièrement levées au-dessus de la foule. Leur joie bruyante, indécente, démoniaque tandis qu’à quelques dizaines de kilomètres de là, en Israël, des enfants pleuraient leur père, des pères leurs fils.
Les Gazaouis de moins de 20 ans n’ont rien connu d’autre que cette haine et cette rage. Le Hamas a détruit l’innocence des enfants de Gaza.Sandrine Boudana
On me fera ces objections indignées: tous les Gazaouis ne soutiennent pas le Hamas; certains veulent se libérer de son joug et en sont eux-mêmes les victimes; les enfants, surtout, nombreux à mourir sous les bombes, sont totalement innocents. Et je dirai: c’est sans compter la logique totalitaire du Hamas. Le totalitarisme consiste à édicter et faire appliquer, par tous les moyens, des règles de conduite dans tous les domaines de la vie sociale, familiale, privée et intime. Depuis dix-huit ans, le Hamas a épuré, embrigadé, modelé la société et les civils. Les écoles, les mosquées, les médias, ont été les instruments de cet embrigadement, véhiculant avec obsession la haine anti-juive, la diffusant dans tout Gaza, chez tous les Gazaouis. Les manuels scolaires ont fomenté la rage, transformant des enfants innocents en adultes monstrueux. Les Gazaouis de moins de 20 ans n’ont rien connu d’autre que cette haine et cette rage. Le Hamas a détruit l’innocence des enfants de Gaza.
Les médias rapportent le cynisme des «combattants» du Hamas, qui utilisent leur propre population civile comme boucliers humains, qui lancent leurs missiles depuis les toits des hôpitaux, des mosquées et des écoles. Tandis que l’armée israélienne a prévenu d’une attaque imminente sur Gaza, qui s’annonce d’une violence sans précédent, tandis que le gouvernement israélien a appelé les civils à fuir vers le sud de Gaza, le chef du Hamas, Ismaël Haniyeh, donne l’ordre aux Gazaouis de ne pas évacuer. Ordre donné depuis sa résidence au Qatar, où il sirote des Virgin mojitos pendant que son peuple souffre.
La haine, la rage, le mal absolu qui se sont exprimés ce samedi 7 octobre se reproduiront, se répandront, sans espoir, tant que les écoles de Gaza tueront l’innocence de leurs propres enfants.Sandrine Boudana
Mais le cynisme le plus terrible et le crime aux conséquences les plus dévastatrices sont ceux qui consistent à faire des enfants de Gaza des rageux et des haineux, y compris par l’école et les livres. En tant qu’enseignante, cette idée que l’école puisse servir à diffuser la haine dans les cœurs et les esprits m’est insupportable. À l’inverse, l’analyse critique, la liberté de pensée et les valeurs humanistes que je cherche à développer chez mes étudiants inspire au Hamas haine et rage. Cette même haine, cette même rage, qui ont conduit à l’assassinat des enseignants français Samuel Paty et Dominique Bernard.
Et qu’on ne me parle pas d’«importation du conflit» israélo-palestinien en Occident. De façon injuste et paternaliste, cette expression renvoie les acteurs du conflit dos à dos et suggère que nous, Occidentaux civilisés, ne devrions rien avoir à faire avec ce conflit entre illuminés orientaux, juifs ou musulmans. Je rappellerai simplement que Samuel Paty n’a pas été décapité dans un contexte de violences au Moyen-Orient. Il a été décapité parce que son enseignement encourageait la liberté de pensée et d’expression. C’est cette logique-là qu’il faut voir. Si le fait d’être juive ne suffisait pas; si le fait d’être Israélienne ne suffisait pas; si le fait d’être une femme «occidentale» ne suffisait pas, le Hamas et ses semblables m’assassineraient encore pour les cours que j’enseigne. La haine, la rage, le mal absolu qui se sont exprimés ce samedi 7 octobre se reproduiront, se répandront, sans espoir, tant que les écoles de Gaza tueront l’innocence de leurs propres enfants.
Categories: Articole de interes general
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